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"Antoinette" 2007

Enfant, j’ai eu, au détour d’un regard, l’occasion d’entrevoir l’intérieur d’une maison de vieille dame pleine de souvenirs.
Vingt ans plus tard, j’y retourne. Il m’a fallu expliquer la formation en photographie que je terminais, lui demander l’autorisation de prendre des photos chez elle. Après une discussion où j’expose ce que j’ai envie de faire, elle m’autorise à prendre des clichés.

J’utilise un moyen format Hasselblad. Les longues poses sont nécessaires pour traduire la faible luminosité de cette demeure. Mon trépied semble perturber la vieille femme, car il est impensable de bouger quoi que se soit dans sa maison. Cet amas de souvenirs est vite devenu pour moi, non plus un parcours du combattant, mais un véritable trajet vers la vie passée d’Antoinette.

Chaque fauteuil en velours, chaque commode encombrée de poupée, tableau et fleurs séchées, chaque table recouverte de napperon brodé ou blague à tabac paternel raconte une tranche d’existence si intime qui m’est impossible de ne pas respecter cet espace saturé. Cette vieille femme vit au milieu de souvenirs de toute une vie. Elle est aussi la gardienne de ses ancêtres. Le temps s’est comme arrêté pour Antoinette, à l’instant du décès de son père, il y a trente-quatre ans. Ce mausolée lui est consacré.

Après la première prise de vue, le résultat est si étonnant que je dois retourner dans cette maison musée. Je suis venue au départ pour une seule prise de vue, mais il y a tellement à voir que cela m’oblige à un vrai travail de documentation. J’entame une nouvelle négociation avec Antoinette. Il lui est plus facile de comprendre ce que je recherche car j’ai dorénavant le résultat de ma précédente visite. Mes clichés lui plaisent car l’esprit de sa maison est respecté. J’obtiens carte blanche ainsi que plusieurs rendez-vous. Cette fois je combine mon moyen format avec un appareil réflexe numérique, bien plus mobile.

L’intime est le thème constant de mon travail, et je le retrouve ici dès le premier instant. Non seulement je photographie un endroit privé, mais j’ai accès à l’intimité d’une vie, à la mémoire, à l’histoire et peut-être au secret de toute une existence : cette effraction déborde le pacte conclu. Par la photo, je révèle une part très profonde de l’inconscient de cette femme. Et peut-être la présence fantomatique d’un disparu. J’ai voulu montrer que nous écrivons littéralement notre vie à travers les objets et les lieux.

J’ai voulu transmettre l’émotion de cette maison, sans pour autant nier l’état statique et le vide qui s’en dégagent, malgré la présence d’Antoinette.

Ce livre raconte l’histoire d’une petite fille de nonante ans. Sa vie s’est déroulée dans une bulle confortable qui l’a éloignée de la guerre, du travail et de la maternité. Elle semble pourtant regretter de n’avoir vécu qu’au travers de ses parents peut-être trop protecteurs, dans une éternelle insouciance.

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2012 © Sandra Tschantz